Les personnes internées privées de recours contre un refus de permission de sortie : la Cour constitutionnelle juge cette situation discriminatoire

par Martin Aubry - 18 juillet 2025

La Belgique dispose d’un régime particulier pour les personnes atteintes de trouble mental et auteures d’une infraction pénale : l’internement. La chambre de protection sociale, qui est la juridiction compétente en la matière, examine les demandes de permission de sortie introduites par les intéressés. La loi ne permet aucun recours en cassation contre les décisions prises sur ces demandes.
La Cour constitutionnelle vient de juger que cela est discriminatoire et donc inconstitutionnel.
Martin Aubry, avocat au barreau de Bruxelles, nous explique cet arrêt, ce qui lui donne l’occasion de rappeler en quoi consiste l’internement, quels en sont les principales règles applicables et quelles sont les critiques dont il fait l’objet.

En quoi consiste l’internement ?

1. La Belgique dispose d’un régime particulier pour les personnes atteintes de trouble mental et auteures d’une infraction pénale : l’internement.
La loi relative à l’internement confère un double but à cette mesure : la protection de la société et la réinsertion par la réalisation d’un trajet de soins, adapté au trouble de la personne en cause.

Les condamnations de la Belgique par la Cour européenne des droits de l’homme

2. Ces buts sont tout à fait louables, mais il faut d’emblée indiquer que la Belgique a été condamnée à de multiples reprises par la Cour européenne des droits de l’homme pour la façon dont fonctionne en réalité le système d’internement. Justice-en-ligne y a fait écho, notamment dans les articles suivants : Pauline Derestiat, « La Cour européenne des droits de l’homme condamne la Belgique en raison de la situation des internés dans le système carcéral » (2013) ; Fanny Vansiliette, « Les internés : la fin d’une politique des oubliettes ? » (2016) ; François Deguel, « Quel traitement pour un délinquant-malade mental ? La Cour européenne des droits de l’homme précise sa jurisprudence » (2019).
Ces condamnations visent notamment l’absence récurrente de places dans des établissements psychiatriques adaptés, qui n’existent pas en nombre suffisant, faute de l’absence persistante de volonté de l’État belge de résoudre la situation.
Les internés peuvent rester détenus des années dans des annexes psychiatriques de prisons qui ne disposent pas de l’encadrement thérapeutique nécessaire. Cela est d’autant plus paradoxal que ces personnes sont reconnues comme atteintes d’un trouble par une décision qui a pour conséquence de les placer dans des établissements où ce trouble ne peut pas être adéquatement encadré...

Les conditions de l’internement - Le rôle de la chambre de protection sociale

3. L’internement pourra être prononcé lorsqu’une juridiction répressive constate cumulativement :

  • la réalisation d’une infraction pénale ;
  • par une personne atteinte d’un trouble mental ayant aboli ou affecté gravement le discernement de la personne poursuivie, au moment de sa comparution devant cette juridiction (ce moment est à distinguer du moment de commission du fait infractionnel, qui peut donc être largement éloigné dans le temps) ;
  • un risque de récidive en raison de ce trouble mental, combiné éventuellement à d’autres facteurs.

Cet internement pourra intervenir uniquement si une expertise psychiatrique de la personne en cause a été réalisée.
Il est à noter que l’internement n’a pas de terme fixe (au contraire d’une peine, dont la durée est définie par la décision judiciaire).

4. Il aura pour conséquence que la personne concernée sera suivie par un tribunal spécifique : la chambre de protection sociale, qui fait partie du tribunal d’application des peines. La chambre de protection sociale a une composition particulière : outre un juge « professionnel », qui la préside, elle est constituée d’un assesseur spécialisé en réinsertion sociale et d’un assesseur spécialisé en psychologie clinique.
Cette chambre décide des modalités d’exécution de l’internement, qui ne sont pas limitées à des mesures privatives de liberté. Il peut s’agir aussi :

  • de permissions de sortie (sorties ponctuelles d’une durée maximale de seize heures) et de congés pénitentiaires (sorties d’un à plusieurs jours) si la personne est détenue (ces sorties peuvent avoir différents buts : familial, professionnel, thérapeutique, médical, préparation de la réinsertion, etc.) ;
  • d’une surveillance électronique, d’une détention limitée (la personne peut sortir quotidiennement de son lieu privatif de liberté avant d’y revenir le soir) ;
  • d’une libération à l’essai (soit une libération avec l’obligation de suivre des conditions) (c’est seulement après une libération à l’essai, qui s’est déroulée sans encombre pendant deux ans et une amélioration de l’état mental de l’interné, permettant d’écarter un risque de récidive, que la chambre de protection sociale pourra mettre un terme à l’internement en prononçant une libération définitive).

L’octroi de ces différentes modalités est soumis à des conditions. À titre d’exemples, la chambre de protection sociale doit examiner le risque de commission de nouvelles infractions ou d’importuner les victimes des faits ayant mené à la décision d’internement.

Les recours - L’absence de pourvoi en cassation contre les décisions relatives aux demandes de permission de sortie ou de congé pénitentiaire

5. Les décisions de la chambre de protection sociale ont donc une importance fondamentale pour l’interné, qui doit tenter de construire son trajet de soins en fonction de celles-ci. La loi ne prévoit cependant pas de possibilité de faire appel de ces décisions, appel qui permettrait un nouvel examen complet de la demande en cause.

6. La seule voie de recours est un pourvoi en cassation, prévu par l’article 78 de la loi relative à l’internement. Il s’agit d’un recours dit « extraordinaire » car la Cour de cassation examinera uniquement l’application correcte de la loi par la décision elle-même et la régularité de la procédure. Elle ne se penchera plus sur les faits et ne pourra pas examiner si les juges se sont trompés quant à ceux-ci.
Il s’agit donc d’un recours relativement limité quant à son étendue et non d’un second degré de juridiction à part entière.

7. La loi relative à l’internement va cependant au-delà d’une limitation en ce qui concerne les décisions relatives à des permissions de sortie ou des congés pénitentiaires. En effet, l’article 78 de la loi ne prévoit aucune voie de recours pour ces décisions prises par la chambre de protection sociale, même pas un pourvoi en cassation.
Cela signifie qu’une telle décision ne peut pas du tout être remise en cause, que ce soit par la personne internée ou le ministère public.

8. Cette situation a été portée à l’attention de la Cour de cassation par un interné qui s’était vu refuser une permission de sortie.
Il estimait que la situation créée par la loi créait une différence injustifiée entre les internés sollicitant une détention limitée, qui bénéficiaient d’une voie de recours, et les internés sollicitant une permission de sortie, privés de tout recours. Il expliquait notamment que cela créait une différence sans justification raisonnable entre des personnes ayant le même statut juridique (l’internement) et demandant des mesures comparables : tant la permission de sortie que la détention limitée permettent à l’interné de sortir pendant quelques heures de l’établissement où il est détenu dans des buts délimités par la loi.

L’arrêt n° 37/2025 de la Cour constitutionnelle

9. S’agissant d’une question relative au texte même de la loi (et aux conséquences entrainées par ce texte), la Cour de cassation s’est tournée vers la Cour constitutionnelle en lui posant une question préjudicielle.
La Cour constitutionnelle a pour mission de contrôler la constitutionnalité des lois. La Constitution belge fixe, en ses articles 10 et 11, un principe d’égalité et de non-discrimination entre tous les citoyens. Ce principe n’empêche pas une différence de traitement mais cette différence doit être raisonnablement justifiée, reposer sur un critère objectif et ne pas entrainer de conséquences disproportionnées pour les citoyens.

10. La Cour constitutionnelle s’est prononcée sur cette question préjudicielle par un arrêt n° 37/2025 du 27 février 2025.
Elle constate dans un premier temps que les personnes sollicitant une permission de sortie ou une détention limitée dans le cadre de la loi relative à l’internement sont dans une situation juridique identique : l’internement.
Elle se penche ensuite sur le critère de distinction utilisé par la loi pour différencier les situations. Il existe selon elle un critère objectif, basé sur la nature différente des permissions de sortie et de la détention limitée.
Si ce critère est objectif, il entraine toutefois selon la Cour constitutionnelle un effet disproportionné pour le public doublement fragile que sont les personnes internées et privées de liberté. Elle estime, à raison selon nous, que les permissions de sortie présentent une importance fondamentale pour les internés, permettant de préparer leur réinsertion ou d’assurer un certain bienêtre.
Vu l’importance de cette mesure, la Cour juge qu’il est disproportionné de soustraire les décisions concernant cette mesure au contrôle de légalité exercé par la Cour de cassation.

En conclusion - Quid de l’absence de pourvoi en cassation en ce qui concerne les congés pénitentiaires ?

11. Cette décision nous parait tenir compte de la réalité quotidienne et de la situation particulièrement vulnérable des personnes internées et détenues. Elle fait évoluer favorablement les possibilités de recours qui leur sont ouvertes, même si elles restent limitées.
Elle permettra désormais aux internés d’introduire un pourvoi en cassation concernant les décisions relatives aux permissions de sortie malgré le fait qu’il ne soit pas formellement prévu par la loi.

12. Au vu du caractère semblable des modalités relatives aux congés pénitentiaires, il nous semble d’ailleurs que cette décision de la Cour constitutionnelle devrait également trouver à s’appliquer aux décisions de la chambre de protection sociale relative à ces mesures.
Toutefois, pour cela, il faudrait soit que la loi soit modifiée en ce sens, soit que la Cour constitutionnelle soit à nouveau saisie de cette question, par exemple, par un interné auquel une demande de congé pénitentiaire aurait été refusé et serait ainsi privé de la possibilité d’introduire un pourvoi en cassation, et que la Cour constitutionnelle se prononce alors sur ce point dans le même sens que dans son l’arrêt n° 37/2025 ici présenté.

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