1. L’affaire concerne un ressortissant russe d’origine tchéchène arrivé en France en 2011 en tant que mineur et y ayant obtenu le statut de réfugié.
En raison d’une condamnation en France pour des faits de terrorisme, le requérant ayant notamment séjourné en Syrie, ce dernier a vu son statut de réfugié être révoqué en juin 2016. Une mesure d’expulsion à destination de la Russie fut ensuite prise à son encontre.
N’ayant obtenu gain de cause devant les juridictions françaises, le requérant a saisi la Cour européenne des droits de l’homme au motif que son renvoi vers la Russie constituerait une violation des articles 2 et 3 de la Convention européenne des droits de l’homme qui consacrent, respectivement, le droit à la vie et l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants.
2. La question qui se posait à la Cour européenne était de savoir si la France peut expulser une personne réfugiée à la suite d’une condamnation pénale pour des faits de terrorisme.
L’affaire portée devant la Cour met en exergue les tensions existantes entre la lutte contre le terrorisme et le système international de protection des réfugiés et, plus largement, des droits fondamentaux.
L’arrêt commenté est intéressant en ce qu’il articule le droit de la Convention européenne des droits de l’homme, le droit européen de l’asile et le droit international des réfugiés, à savoir la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés.
3. Au préalable, il y a lieu de rappeler que la protection offerte par la Convention de Genève n’est pas ouverte à tous.
La Convention contient effectivement des causes d’exclusion du statut de réfugié.
Adoptée au lendemain de la seconde guerre mondiale et des atrocités du nazisme, la volonté des États signataires était de priver du bénéfice de cette Convention les personnes dont il y a « des raisons sérieuses de penser » qu’elles ont commis, dans leur pays d’origine, soit un crime grave de droit commun, soit un crime contre l’humanité ou des agissements contraires aux buts et aux principes des Nations unies (article 1er, F, de la Convention).
De telles causes d’exclusions visent à éviter que la protection des réfugiés ne permette aux auteurs de certains crimes graves d’échapper à leur responsabilité pénale. Sont notamment visées les personnes ayant commis des actes de génocide ou de terrorisme avant de se rendre dans un pays tiers et d’y demander une protection internationale.
4. En l’espèce, la situation est cependant autre : le requérant a été condamné en France pour des faits de terrorisme après y avoir obtenu le statut de réfugié.
La situation d’un réfugié représentant une menace pour la société du pays d’accueil en raison d’une condamnation pénale pour des faits graves relève, au sein de la Convention de Genève, de l’exception au principe de non-refoulement. La Convention autorise effectivement un pays d’accueil à expulser un réfugié dont on a « des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l’objet d’une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays » (article 33, alinéa 2).
En l’espèce, la Convention de Genève autorise donc la France à refouler le requérant vers la Russie.
5. Néanmoins, en raison de la pluralité des normes applicables, la situation d’une personne réfugiée en France et ayant commis des faits de terrorisme doit également être appréciée au regard du droit de l’Union européenne. Conformément à la directive dite « qualification » (directive 2011/95/UE) , le statut de réfugié peut être révoqué lorsque la personne bénéficiaire de ce statut représente une menace pour la sécurité de l’État membre d’accueil. En cela, le droit européen prévoit une cause d’exclusion supplémentaire à la Convention de Genève, pourtant censé être exhaustive sur ce point.
Cette différence a été avalisée par la Cour de justice de l’Union européenne dans un arrêt récent, datant du 14 mai 2019 (M. et X., X., aff. jointes C-391/16, C-77/17 et C-78/17) (pour un commentaire de cet arrêt : J.-B. FARCY, « Sécurité nationale et exclusion du statut de protection internationale : vers une autonomie croissante du droit européen ? », Cahiers de l’EDEM, juin 2019). Par cette décision, la Cour de justice autorise les États européens à retirer le statut de réfugié d’une personne condamnée pour des faits de terrorisme, comme ce fut le cas dans l’affaire commentée.
6. La question se pose alors de savoir si l’éloignement du requérant vers la Russie est conforme aux droits fondamentaux tels que protégés par la Convention européenne des droits de l’homme et interprétés par la Cour.
Dans l’arrêt commenté, la Cour rappelle sa jurisprudence relative à l’article 3 de la Convention prohibant les traitements inhumains et dégradants :
« Pour qu’un éloignement forcé envisagé soit contraire à la Convention, la condition nécessaire – et suffisante – est que le risque pour la personne concernée de subir dans le pays de destination des traitements interdits par l’article 3 soit réel et fondé sur des motifs sérieux et avérés, même lorsqu’elle est considérée comme présentant une menace pour la sécurité nationale pour l’État contractant » (§ 119).
Dès lors que la protection de l’article 3 est absolue, elle ne souffre d’aucune exception ou dérogation. Autrement dit, elle est indépendante du comportement de son bénéficiaire. De ce fait, la protection contre les traitements inhumains ou dégradants vaut également pour les personnes condamnées pour des faits de terrorisme.
Nul ne peut donc être expulsé vers un pays tiers où il existe un risque réel qu’il ou elle subisse des traitements contraires à l’article 3 de la Convention.
7. L’interdiction relative du refoulement au sein de la Convention de Genève est ainsi complétée par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui consacre une protection absolue contre les traitements inhumains et dégradants.
8. En l’espèce, la Cour européenne des droits de l’homme arrive à un verdict de violation de l’article 3 de la Convention car les autorités françaises n’ont pas suffisamment veillé au fait que le requérant, malgré la révocation de son statut de réfugié, conserve la qualité de réfugié.
En raison de l’effet déclaratif, et non pas constitutif, du statut de réfugié, une personne qui craint avec raison d’être persécutée dans son pays d’origine pour l’un des cinq motifs repris dans la Convention de Genève (race, religion, nationalité, opinions politiques, appartenance à un groupe social) dispose, de ce seul fait, de la qualité de réfugié. Autrement dit, la qualité de réfugié, qui résulte d’une crainte de persécution, ne dépend pas d’une reconnaissance formelle par l’octroi du statut de réfugié.
De ce fait, avant d’expulser une personne réfugiée, les autorités étatiques sont tenues de vérifier si la crainte de persécution ayant auparavant justifié l’octroi du statut de réfugié subsiste et s’oppose à l’éloignement de cette personne.
Or, en l’espèce, les autorités françaises n’ont pas évalué les risques que le requérant allègue encourir en cas d’éloignement vers la Russie.
La Cour en conclut à une violation de l’article 3 de la Convention en son volet procédural pour défaut d’évaluation de ce risque.
9. Cela ne signifie pas que la France ne pourra pas à l’avenir procéder à l’éloignement du requérant.
Seulement, elle doit dès aujourd’hui mettre en place des garanties procédurales renforcées afin de s’assurer qu’il n’existe pas de motifs sérieux et avérés de croire que le requérant court un risque réel de subir des traitements inhumains et dégradants à son retour.
De cette vérification dépend la possibilité d’éloigner le requérant.
Cet arrêt ne signifie donc pas qu’un réfugié ayant été condamné pour des faits de terrorisme ne peut jamais faire l’objet d’une mesure d’éloignement. La Cour européenne des droits de l’homme veille cependant à ce que des garanties procédurales suffisantes soient en place et que les États évaluent proprement les risques qu’encourent les individus en cas d’éloignement.
10. Si la solution retenue par la Cour européenne des droits de l’homme n’est pas en soi critiquable sur le plan des principes juridiques, elle pose néanmoins question en ce qu’elle a pour effet de contribuer à la prolifération d’une population reléguée dans les limbes juridiques.
Lorsque l’éloignement d’un réfugié condamné pour des faits de terrorisme n’est pas possible en raison du risque de traitements inhumains ou dégradants dans son pays d’origine, cette personne sera le plus souvent dépourvue de titre de séjour dans le pays d’accueil, comme c’est le cas en Belgique. Les États européens sont uniquement contraints de tolérer sa présence.
La sécurité nationale, qui avait initialement justifié le retrait du statut de réfugié, n’est donc pas davantage garantie et le dénuement de la personne étrangère ne facilitera pas sa « réintégration » sociale.
Votre point de vue
Amandine Le 16 juin 2021 à 19:28
Merci beaucoup pour cette intéressante analyse, et plus particulièrement, quant au statut de réfugié et à la distinction faite, et bien expliquée, entre effet déclaratif et effet constitutif.
Si les règles de droit n’autorisent pas le refoulement de ce Monsieur vers la Russie, qu’est-ce qui empêcherait la France de le traiter comme ceux de ses ressortissants condamnés pour des faits de terrorisme semblables ? Et à créer, pour les personnes se trouvant dans ce genre de situations, un titre de séjour ad hoc qui permette à la fois de leur faire purger leur peine en France, les aider à s’insérer socialement dans leur pays d’accueil après leur libération, et de surveiller leur évolution, plutôt que de se contenter de "tolérer leur présence", les obligeant ainsi à grossir la population astreinte à vivre dans les limbes juridiques, autrement dit à bricoler au jour le jour leur survie sociale et civile en marge de la légalité. Un état qui se dit démocratique doit veiller à ne pas laisser se créer des limbes juridiques.
Il est temps de relire les textes qu’Hannah Arendt consacre à la superfluité humaine.
JB Farcy Le 29 juin 2021 à 11:05
Chère Madame,
Merci pour votre commentaire.
Une sanction pénale similaire à celle imposée aux ressortissants français existe déjà. Ici le retrait du statut de réfugié et l’éventuel éloignement du territoire est une sanction distincte. Il s’agit d’une sanction administrative et donc elle est autorisée (non application du principe non bis in idem). On pourrait cependant défendre qu’il s’agit d’une double peine pour les personnes étrangères.
Pour le reste, je vous rejoints totalement.
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Skoby Le 16 juin 2021 à 12:31
Je trouve anormal qu’un réfugié qui commet des faits de terrorisme ne puisse pas
perdre son statut de réfugié. Si on ne peut pas le reconduire en Russie, car il
y aurait des risques de maltraitance, on devrait alors l’expulser et le laisser
décider dans quel pays il désire aller, mais on devrait avoir le droit de supprimer
son droit de résidence.
Blanc 17 Le 16 juin 2021 à 15:27
FAUX-SEMBLANTS, FAUSSES EXCUSES , LAXISMES . En France, Belgique, Europe il n’y a en plus que pour l’Agresseur, le violeur l’assassin, depuis 20 ou 30 ans
avez-vous remarqué toutes ces LOIS SCELERATES que l’on nous pond ? La France a autorisé le SQUATT (en anglais, pour dire "effraction et violation de domicile" ; 10 ans que Le SQUATT est désormais inscrit au CODE CIVIL ... ( Principe : le droit de Propriété est " sacré"). L’Intelligencia française a foulé aux pieds ce principe avec l’agrément de la Cour UE. Une mode : piétiner tout ce qui est sacré, fouler aux pieds le Droit de la Victime agressée.... un monde qui a perdu la tête.... On est foutu...
JB Farcy Le 29 juin 2021 à 10:59
Cher Monsieur (ou Madame, on ne sait finalement pas),
Si vous aviez seulement lu l’article, il est écrit noir sur blanc que les pays européens peuvent retirer le statut de réfugié à une personne qui a commis des faits de terrorisme.
La question de savoir si cette personne peut être renvoyée vers un pays tiers est toute autre.
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