1. Depuis une vingtaine d’années, les préoccupations environnementales se sont progressivement insinuées dans l’interprétation des droits de l’homme de première génération (ceux que l’on appelle aussi les droits civils et politiques, par opposition aux droits économiques, sociaux et culturels, qui forment les droits de l’homme de la deuxième génération), notamment les droits à la vie (article 2), et au respect de la vie privée et familiale et du domicile (article 8) garantis par la Convention européenne des droits de l’homme.
Grâce à une interprétation constructive et dynamique de la Convention, la Cour européenne des droits de l’homme est parvenue à garantir, par ricochet, une protection minimale de l’environnement. En vertu des obligations positives qui pèsent sur l’Etat en vertu des articles 2 et 8, les victimes peuvent lui faire grief de ne pas avoir agi en vue de garantir leurs droits fondamentaux.
2. La condamnation de l’État néerlandais par la Cour d’appel de La Haye, le 9 octobre dernier, dans l’affaire Urgenda, retiendra l’attention non seulement des spécialistes du droit du changement climatique, mais également celle des juristes intéressés par les droits fondamentaux et bien entendu du grand public, car l’arrêt dégage de nouvelles perspectives quant à la portée des articles 1er et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Cet arrêt historique résulte d’une action d’intérêt collectif introduite au nom de 886 citoyens néerlandais qui contestaient l’insuffisance des mesures de réduction des émissions de gaz à effet de serre aux Pays-Bas.
La Cour d’appel confirme l’arrêt de condamnation en première instance du 23 septembre 2015, lequel avait fait couler beaucoup d’encre à l’époque.
3. Sur le plan de la recevabilité, la Cour d’appel a admis qu’une telle action d’intérêt collectif pouvait être fondée sur la violation des deux dispositions précitées, indépendamment du fait qu’elle serait irrecevable devant la Cour européenne des droits de l’homme (§§ 35 et 36).
La Cour admet de la sorte un recours collectif en rapport avec les articles 2 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme : s’agissant de l’argument relatif à l’impossibilité d’agir pour les générations à venir, avancé par le Gouvernement, la Cour d’appel note que « la génération actuelle de citoyens néerlandais en particulier, mais ne se limitant pas aux individus les plus jeunes appartenant à ce groupe, auront à subir au cours de leur vie des effets négatifs du changement climatique [...] » (§ 37).
4. Si l’objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre à concurrence de 80 à 95 % à l’horizon de 2030 (par rapport aux émissions de l’année 1990) ne prêtait pas à controverse, les parties étaient en désaccord quant à l’effort à fournir pour atteindre l’objectif intermédiaire pour la fin de l’année 2020. Urgenda exigeait une réduction de 25 % des émissions globales de ces gaz alors que l’État néerlandais estimait qu’il pouvait s’en tenir à son objectif de – 20 %.
En s’appuyant sur les exigences découlant du droit international (accord de Paris notamment) et du droit de l’union européenne, ainsi que sur l’état de la science (les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, GIEC), la Cour d’appel estime que l’objectif intermédiaire de 2020 proposé par le Gouvernement néerlandais est insuffisant pour atteindre l’objectif final de 2030 (§§ 47 et suivants). De surcroît, un objectif intermédiaire de – 20 %, avancé par les autorités étatiques, au lieu des - 25 %, semble, aux yeux de la cour, davantage conforme à l’accord de Paris, qui privilégie une augmentation globale des températures de 1,5° C au lieu de 2° C (voyez à cet égard le rapport du GIEC du 6 octobre 2018 sur un réchauffement global de 1,5° C ).
5. La Cour mobilise deux principes fondateurs du droit de l’environnement.
D’une part, en exigeant une protection effective en vue de prévenir le plus tôt possible l’infraction, elle consacre le principe de prévention (§ 42).
D’autre part, en jugeant que l’incertitude qui entoure le phénomène du changement climatique n’a pas pour effet d’empêcher la mise en œuvre d’une politique ambitieuse, elle proclame le principe de précaution (§ 63).
6. Quant à la nature des atteintes, la Cour européenne des droits de l’homme admet, en raison du spectre particulièrement large des problèmes écologiques, que celles-ci ne sont pas seulement matérielles ou corporelles ; elles peuvent également être immatérielles ou incorporelles. Ici, c’est la violation future des intérêts protégés au titre des articles 2 et 8 qui est en cause.
La protection découlant de l’article 8 ne joue que dans l’hypothèse où l’atteinte au droit dépasse un certain niveau de gravité. Aux yeux de la Cour d’appel, en raison d’une « menace réelle et imminente », l’État néerlandais a une obligation positive de protéger les vies des citoyens relevant de sa juridiction (§ 49).
7. La Cour d’appel met l’accent sur le fait que les Pays-Bas ont mené jusqu’à présent une politique particulièrement laxiste par rapport aux autres États industrialisés et que les émissions de CO2 dans ce pays sont particulièrement élevées (§§ 25 et 56).
8. Un lien suffisamment direct doit en tout cas exister entre la victime et le dommage subi. Qu’elle prenne la forme d’une exposition à une substance polluante ou d’une nuisance sonore, l’ingérence doit affecter directement son domicile, ou sa vie privée ou familiale. À cet égard, l’arrêt de la Cour d’appel présente un intérêt certain car, dans la mesure où il s’agit d’une demande d’injonction et non pas d’une action en responsabilité, une approche plus souple prévaut quant à l’établissement du lien causal entre l’inaction de l’État et la violation des droits concernés (§ 65).
9. Le Gouvernement néerlandais avait invoqué la violation du principe de la séparation des pouvoirs (« het stelsel van machtenscheiding ») au motif qu’une telle injonction empiéterait sur le pouvoir législatif.
La Cour rappelle que son arrêt ne détermine pas le contenu précis de mesures à prendre en vue d’atteindre l’objectif intermédiaire de – 20 % (§ 68).
En outre, un objectif intermédiaire plus ambitieux n’exige pas nécessairement l’adoption de nouvelles législations, dans la mesure où il peut être atteint par le pouvoir exécutif et les autorités locales.
Enfin, la nature planétaire du phénomène n’exonère pas les Pays-Bas de leurs responsabilités.
10. Aussi, dans la mesure où une politique laxiste (« te weinig heeft gedaan om een gevaarlijke klimaatverandering te voorkomen ») viole l’obligation de prudence (« zorgplicht ») requise au titre des articles 2 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, la Cour enjoint-elle à l’État néerlandais de réduire à l’horizon de 2021 les émissions d’au moins de 25 % de gaz à effet de serre (§ 74).
11. Jusqu’à présent les arrêts rendus à propos de la violation des dispositions précitées en raison d’atteintes environnementales avaient trait à des contentieux entre des individus ayant souffert d’un dommage (pollution, bruit, nuisances, etc.) et leurs autorités étatiques. Par ailleurs, la majorité des actions collectives intentées en vue d’enjoindre les autorités nationales à réduire davantage les émissions de gaz à effet de serre ont échoué (Greenpeace Nordic Ass’n and Nature and Youth v. Ministry of Petroleum and Energy, 2016 ; voy. aussi Friends of the Irish Environment CLG v. Fingal County Council, 2017).
Enfin, on notera qu’une action semblable intentée par une association belge (Klimaatzaak) doit encore être tranchée par le tribunal de première instance de Bruxelles.
Votre point de vue
skoby Le 6 février 2019 à 12:17
Sur base de quoi un juge va-t-il condamner l’Etat sous prétexte qu’il ne fait
pas assez pour le climat. Sauf si l’Etat s’est engagé à respecter certaines normes
de pollution en date du…., cela me paraîtrait justifié.
Maintenant tout ceci me paraît fortement exagéré. Nous allons dans des pays comme
la Belgique, la France, les Pays-Bas investir beaucoup d’argent pour le climat
alors que nous sommes responsables pour maximum 1% de la pollution.
Les USA, responsables de 15 %, ne font rien, merci Monsieur TRUMP !
L’Inde, la Chine et plein d’autres pays sont d’énormes pollueurs, et ne font quasi
rien !
Ne sommes nous pas débiles de réagir comme on le fait, au lieu de motiver
le monde entier à prendre des mesures concertées ?
anne verlaeken Le 9 février 2019 à 11:30
Juste pour dire que de nombreux pays polluent pour nous !
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Amandine Le 7 février 2019 à 15:20
P.S. En faisant des recherches sur Internet, j’ai lu un article selon lequel le jugement (dont appel) est déclaratoire, et non pas exécutoire.
https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01559081/document
et une petite explication sur ce concept :
http://pedone.info/cij/33-CIJ-.pdf
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Amandine Le 6 février 2019 à 14:51
A quoi exactement l’état des Pays-Bas est-il condamné ? A des dommages et intérêts ? envers qui ? A une obligation de faire, et à défaut, au paiement d’astreintes ? A qui ?
Il me semble que l’article ne le dit pas.
Si l’état en question est condamné à payer certaines sommes (à qui ?) les sommes en question devront être payées par les contribuables, en plus de leurs impôts habituels, ou soustraites à certains postes du budget.
Le hasard fait que je viens de lire justement un article dans le Monde Diplomatique de février 2019, de Grégoire Chamoyou, intitulé “Eh bien, recyclez maintenant ! Comment les industriels ont abandonné le système de la consigne”.
https://www.monde-diplomatique.fr/2019/02/CHAMAYOU/59563.
Cet article décrit la manière dont les industriels ont procédé pour imposer aux consommateurs des contenants jetables en lieu et place des contenants consignés (ce que nous appelons "vidanges").
Il me semble donc que tandis que les entreprises continuent de polluer, et de produire des "jetables", ce ne sont pas elles qui sont poursuivies par des procédures du type "Klimaatzaak", mais bien les états, lesquels risquent d’être condamnés. Les montants des condamnations étant payés finalement par les contribuables.
Si je me trompe, expliquez-moi où est mon erreur
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