Les alternatives à la détention préventive : quelles sanctions en cas de non-respect ?

par Marie Jadoul - 12 septembre 2018

Un internaute nous a posé la question de savoir quelles sont les possibles conséquences du non-respect, par une personne, des conditions qui lui ont été imposées par le juge d’instruction lorsqu’il a imposé une mesure alternative à une détention préventive ou une détention préventive sous la forme d’une surveillance électronique.

Marie Jadoul, avocate au barreau du Brabant wallon et assistante à l’Université catholique de Louvain, nous aide à y voir clair.

Le mandat d’arrêt – La détention préventive

1. Lorsqu’une personne est sérieusement soupçonnée d’avoir commis une infraction d’une certaine gravité, elle est susceptible d’être déférée, à la demande du procureur du Roi et dans les 48 heures de sa privation de liberté, devant un juge d’instruction.

Après avoir entendu cette personne en présence de son avocat, le juge d’instruction décidera de la placer – ou non – sous mandat d’arrêt ; c’est ce que l’on appelle la détention préventive.

2. La loi du 20 juillet 1990 ‘relative à la détention préventive’ prévoit très strictement les conditions auxquelles une personne peut être placée en détention préventive :
 en aucun cas, la détention préventive ne pourra être utilisée comme moyen de contrainte ou de sanction immédiate à l’égard de l’inculpé ;
 sauf cas de flagrant délit, il doit exister des indices sérieux de culpabilité contre celui-ci ;
 le minimum de la peine pour l’infraction qui lui est reprochée doit être fixé à un an (il doit donc s’agir d’une infraction d’une certaine gravité) ;
 la détention préventive doit s’avérer absolument nécessaire pour préserver la sécurité publique ;
 pour les infractions les moins gravement réprimées par la loi pénale, outre la nécessité d’examiner le critère de l’absolue nécessité pour la sécurité publique, il faut avoir identifié l’une des conditions suivantes : un risque de récidive, un risque de fuite ou un risque de disparition des preuves durant l’enquête.
Seul le juge d’instruction a le pouvoir de placer une personne en détention préventive. Cela s’explique par le fait qu’il s’agit d’une mesure tout à fait exceptionnelle qui peut potentiellement entrainer de nombreuses conséquences tant pour le justiciable (perte d’emploi, perte de logement, rupture des liens familiaux, etc.) que pour ses proches (rupture des liens familiaux entrainant parfois un placement du ou des enfant(s), éloignement géographique, etc.).

Par contre, plusieurs autorités sont compétentes pour décider :
 soit du maintien de la détention préventive (la chambre du conseil ou la chambre des mises en accusation, c’est-à-dire les juridictions dites « d’instruction », qui exercent notamment un contrôle sur la détention préventive durant l’enquête) :
o cinq jours après la délivrance du mandat d’arrêt ;
o mensuellement durant les deux premiers mois de la détention préventive ;
o puis tous les deux mois à dater de la troisième décision ;
 soit d’une alternative à la détention préventive (le juge d’instruction ou les juridictions d’instruction).

Les alternatives à la détention préventive

3. Ainsi, même dans les cas où il existerait des indices sérieux de culpabilité tendant à penser que la personne qui comparait devant lui est impliquée dans les faits pour lesquels il est saisi, le juge d’instruction peut décider, dès le départ ou à tout moment durant l’instruction, d’opter pour une alternative à la détention préventive, dans le but d’éviter, autant que faire se peut, les effets néfastes de la détention.
Une telle décision peut également être prise par une des juridictions d’instruction lors de l’examen du maintien de la détention à un stade ultérieur de la procédure.

4. Ces alternatives à la détention préventive sont au nombre de deux : la remise en liberté sous conditions (à distinguer de la libération conditionnelle qui intervient après le prononcé du jugement sur la culpabilité) ou sous caution.

À celles-ci, s’ajoute la possibilité pour le juge d’instruction (ou les juridictions d’instruction) d’ordonner que la détention préventive s’effectue à domicile sous surveillance électronique.

La libération sous condition ou sous caution

5. La libération sous condition ou sous caution (c’est-à-dire moyennant le versement d’une caution) peut donc être décidée chaque fois que la détention préventive d’une personne peut être ordonnée (par le juge d’instruction) ou maintenue (par les juridictions d’instruction).
La loi ne fixe pas de condition particulière ou de montant minimal que l’inculpé doit satisfaire ou payer.

Le choix des conditions ou du montant de la caution relèvent de l’appréciation souveraine du juge d’instruction et des juridictions d’instruction, tenant compte de la situation, de la personnalité de l’inculpé et des faits pour lesquels il est soupçonné (ex. : interdiction de contact avec une personne en lien avec le dossier, interdiction de quitter le territoire, interdiction de conduire, obligation de suivre un traitement médical adapté ou d’intégrer une cure en résidentiel en cas de faits commis sous l’emprise de stupéfiants, etc.).

Le contrôle des conditions qui sont imposées à l’inculpé dans le cadre d’une libération sous conditions s’effectue par le biais du Service des Maisons de justice, composé notamment d’assistants sociaux – dits assistants de justice – qui convoquent fréquemment le justiciable et lui demandent d’attester du respect des conditions. Les assistants de justice établissent des rapports qui sont transmis au juge d’instruction.

Par ailleurs, les services de police peuvent également signaler au juge d’instruction lorsqu’ils constatent qu’une interdiction imposée à un justiciable n’est pas respectée.

La surveillance électronique

6. L’exécution de la détention préventive sous bracelet électronique ne constitue pas une alternative à la détention préventive puisque l’inculpé est privé de sa liberté d’aller et venir et doit rester de manière permanente à son domicile (avec un bracelet électronique à sa cheville de manière à pouvoir être en tout temps géolocalisé), sauf exceptions, c’est-à-dire des déplacements tout à fait limités :
 soit qu’ils sont strictement nécessaires pour la procédure : audience, audition à la police, etc. ;
 soit qu’ils sont justifiés par des raisons médicales ou un cas de force majeure.

L’exécution de la détention préventive sous surveillance électronique constitue en réalité un autre mode d’exécution de la détention préventive, s’agissant d’une mesure extrêmement contraignante.
Le juge d’instruction peut ordonner cette mesure au début de la procédure – soit lors de la délivrance du mandat d’arrêt – ou par la suite, de même que les juridictions d’instruction lorsqu’elles sont amenées à se prononcer sur le maintien, ou non, de la détention.

Les sanctions du non-respect des conditions

7. En cas de non-respect d’une condition imposée à l’inculpé, le juge d’instruction ou la juridiction d’instruction peuvent décider de décerner un nouveau mandat d’arrêt (dans le cas, par exemple, où l’inculpé ne se présente pas à une audience, où il existe des circonstances nouvelles et graves rendant cette mesure nécessaire, etc.).
Le non-respect des conditions imposées entraine donc, dans la plupart des cas, un retour à la « case prison ».

Toutefois, à ce sujet, il convient de rappeler que la délivrance d’un mandat d’arrêt est une mesure exceptionnelle dès lors qu’elle touche à l’un des de nos droits les plus fondamentaux : la liberté d’aller et venir, telle que consacrée par les textes nationaux et internationaux.

Quel bilan ?

8. Autant la détention préventive peut marquer un coup d’arrêt dans la délinquance d’une personne, à un moment donné, et permettre une prise de recul, un électrochoc, une mise à l’écart bien nécessaires, autant la prison peut entrainer, pour la personne concernée, ses proches – mais au-delà et par ricochet pour la société toute entière – des effets néfastes en termes de réinsertion et de prévention de la récidive.

C’est bien connu : la récidive entraine la récidive, la prison entraine la prison ; un petit voleur apprend aux côtés de grands bandits.
L’expérience montre que, d’une manière générale, les alternatives à la détention préventive font leurs preuves tant au niveau de la prévention de la récidive que de la réinsertion sociale (maintien du lien social, familial, professionnel, etc.).

Et pour cause, elles incarnent une justice « à visage humain », à l’antipode de ce qu’offre dans la plupart des cas la prison (surpopulation carcérale, manque de formations, désinsertion sociale, fait pour un détenu de tout subir et de ne pas être acteur de sa propre vie, etc.) :

 elles permettent parfois à celui ou celle qui est soupçonné(e) d’avoir dérapé de prendre conscience de la mesure de ses actes, de se reprendre en main, de s’autonomiser, de montrer à la société, par des actes concrets, qu’il/elle est capable d’être autre que celui/celle qu’il/elle a été ;
 le suivi effectué par l’assistant de justice (assistants sociaux ou criminologues de formation) dans le cadre d’une libération sous conditions s’effectue par le biais de rencontres, d’être humain à être humain, généralement dans le dialogue et la contradiction.

On peut regretter que ces alternatives à la détention préventive ne soient pas davantage utilisées. La nouvelle mode consiste en effet parfois à placer les inculpés en détention préventive sous bracelet électronique, au motif que la société s’en trouverait mieux protégée… Toutefois, c’est bien la privation d’aller et venir en elle-même qui est visée et qui réduit la possibilité de maintenir le lien (qu’il soit familial, social, professionnel, etc.) nécessaire à la vie en communauté.

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Marie Jadoul


Auteur

assistante et doctorante à l’Université catholique de Louvain

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