1. Le tribunal avait été saisi par différentes associations et fondations dont l’objet statutaire porte sur la lutte contre le changement climatique.
Ces dernières mirent en cause la responsabilité de l’État aux termes de l’article L.142-1 du Code de l’environnement, qui leur permet d’engager « des instances devant les juridictions administratives » portant notamment sur les articles 1246 à 1248 du Code civil, lesquels créent une responsabilité pour faute pour le préjudice écologique.
Les requérants reprochaient à l’État français, d’une part, d’avoir méconnu l’obligation générale de lutte contre le changement climatique et, d’autre part, de ne pas avoir adopté, par le biais de ses autorités administratives, des mesures suffisantes pour garantir la bonne application du cadre législatif et réglementaire.
2. Sur la base des évaluations scientifiques internationales (notamment celles du groupe d’expert intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC) et nationales (se référant aux travaux de l’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique), le Tribunal estime que le préjudice écologique au sens de l’article 1246 du code civil « doit être regardé comme établi » en raison notamment de l’exposition de la population française à une kyrielle de risques résultant de l’augmentation de la température moyenne.
3. Après avoir rappelé l’ensemble des engagements que l’État a pris en vue de réduire ses émissions de gaz à effet de serre, le Tribunal constate que ceux-ci attestent du fait qu’il pèse à son encontre une obligation générale de lutte contre le changement climatique.
À la lumière de ces engagements internationaux et de l’article 3 de la Charte de l’environnement (ayant valeur constitutionnelle), disposition qui consacre le principe de prévention, l’État français, selon le Tribunal, s’est engagé à atteindre « à des échéances précises et successives, un certain nombre d’objectifs » dans le domaine de la lutte contre le réchauffement climatique.
Tout d’abord, le Tribunal reconnaît qu’il y a un écart significatif entre certains des objectifs arrêtés et les résultats obtenus, s’agissant, d’une part, de la réduction de la consommation énergétique finale (réduction de 1,7 % obtenus en 2017 alors que l’objectif de réduction est de 7 % pour 2023 par rapport à la consommation de 2012) et, d’autre part, de l’augmentation de la part des énergies renouvelables dans la consommation finale (de 16,6 % 2018 alors qu’il doit être porté à 23 % en 2020). Il rejette néanmoins ces deux premiers moyens au motif qu’en ne réglant qu’une partie du problème, ces politiques sectorielles n’ont pas directement contribué à l’aggravation du préjudice écologique (§§ 25 et 26 du jugement).
4. En revanche, le Tribunal admet le moyen relatif au dépassement de l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Conformément aux obligations internationales (Accord de Paris) et de droit dérivé de l’Union européenne (c’est-à-dire principalement ses directives, qui sont des « lois » européennes »), les émissions de gaz à effet de serre sont comptabilisées sous la forme de budgets carbone, lesquels doivent diminuer à concurrence d’un taux de réduction progressif pour trois périodes consécutives (2015–2018, 2019–2023 et 2024–2028). La France a, d’après le Tribunal administratif, dépassé le budget carbone pour la période 2015–2018 (dépassement de 3,5 %).
Le fait que le taux de réduction pour 2030 soit fixé à 40 % par rapport aux émissions de 1990 et que l’État français dispose encore du temps nécessaire pour atteindre cet objectif ainsi que la neutralité carbone pour 2050 ne l’exonère cependant pas de sa responsabilité « dès lors que le non-respect de la trajectoire qu’il s’est fixée pour atteindre ces objectifs engendre des émissions supplémentaires de gaz à effet de serre, … aggravant ainsi le préjudice écologique invoqué » (§ 31 du jugement).
5. S’agissant du moyen relatif à l’insuffisance des objectifs de limiter le réchauffement à 1,5°C, qui doit être poursuivi en vertu de l’Accord de Paris, le Tribunal considère que la France poursuit les objectifs plus ambitieux que ceux qui ont été fixés par l’Union européenne (§ 32). Ce moyen est donc écarté.
6. L’État est ainsi tenu responsable, au sens l’article 1246 du Code civil français, d’une « partie » du préjudice écologique. Le juge administratif rejette la demande en réparation pécuniaire (un euro symbolique) et lui substitue une réparation en nature accompagnée d’injonctions en vue de le faire cesser.
S’agissant de la réparation en nature, étant donné que l’état de l’instruction de l’affaire ne permet pas de déterminer avec précision les mesures qui doivent être ordonnées à l’État, le Tribunal ordonne un supplément d’instruction.
Compte tenu des carences fautives de l’État, il accorde aux associations requérantes la somme d’un euro symbolique au titre de réparation d’un préjudice moral.
7. En conclusion, c’est pour la première fois qu’un juge administratif admet en France que des associations obtiennent la réparation du préjudice écologique résultant des carences administratives dans le domaine de la lutte contre le réchauffement climatique.
L’État est ainsi condamné à adopter des mesures de réparation et prévention qui seront déterminées à l’issue de la mesure d’instruction. L’arrêt commenté montre que le non-respect des engagements internationaux et de droit dérivé européen peut être constitutif d’une faute au sens de la responsabilité civile.
Votre point de vue
skoby Le 27 avril 2021 à 14:42
Je ne comprends pas que des associations de lutte contre le réchauffement
climatique puisse obtenir des indemnisations de l’Etat parce que l’Etat n’a
pas encore atteint les résultats promis ou espérés. A mon sens seule l’Europe
pourrait lever des sanctions si les mesures promises n’ont pas été réalisées.
Répondre à ce message